Récemment, j’ai achevé la page décrivant ma préparation. Physique, mentale, technique… En passant par la communication et la logistique.

Parmi les entraînements physiques, détaillons le plus important: la traction de pneus ! Dans cet article, je vais vous parler de l’intérêt de cette pratique, et de la manière dont vous pouvez fabriquer vous même votre propre système de traction.

C’est plus agréable en forêt !

Pourquoi et comment ça marche ?

 

Partons d’un principe de base: pour qu’un entraînement soit efficace, il doit renforcer en quelque chose d’utile à votre objectif.

Partant de ce constat, vous devinerez rapidement où je veux en venir: la traction de pneus est ce qui se rapproche le plus de l’effort quotidien d’un explorateur polaire, traînant sa lourde pulka à skis sur la neige.

Lorsque l’on me questionne à propos de mon attirail, on me pose souvent la question: “C’est lourd ?”. En fait non. Ces pneus ne sont pas si lourds que ça, ils sont même légers. La pulka que je tracterai au Groenland fera au moins 80kg, peut-être 90kg. Mais elle est étudiée pour glisser sur la neige autant que possible ! Alors que les pneus que je traîne, eux, adhèrent particulièrement bien au sol.

Ce n’est donc pas le poids des pneus qui crée de la résistance, mais la friction. Plus il y a de pneus, plus le poids simulé est important. En les accrochant à vos hanches à l’aide d’un système de harnais/corde, vous pouvez parfaitement simuler la traction d’une luge sur la neige ou la glace.

D’où cela vient t-il ?

 

Je ne suis assurément pas l’inventeur de cet entraînement: il est tout à fait classique chez les explorateurs polaires. Un certain Geir Randby a observé en 1990 (alors qu’il se préparait avec Borge Ousland à une expédition au Pôle Nord) que les chevaux de course traînaient de gros pneus de camions pour leur entraînement. Scoop: cet entraînement est tout aussi efficace pour un être humain ! Il suffit d’accrocher les pneus à soi de la même manière qu’on le fait avec une pulka, et le tour est joué.

Les chevaux savent aussi y faire

Quel gain ?

Cet exercice est excellent pour le corps: il permet de développer la force et l’endurance musculaire, mais aussi la résistance des tendons et ligaments. Il n’y a vraiment rien de mieux pour préparer à la traction de charges lourdes pendant de longueurs heures. J’utilise la course pour renforcer mes capacités cardiaques en complément seulement, et la musculation pour le reste.

Il existe un autre bénéfice physique: pour l’expédition, je dois préparer mon corps à dépenser énormément d’énergie tous les jours, autant pour avancer en tirant ma pulka que pour maintenir ma température corporelle dans ces conditions extrêmes. Cette énergie, je devrai la tirer des graisses fournies par mes 8000 kcalories/jour de nourriture: il faut donc entraîner mon corps à les brûler efficacement.

Un coureur de fond est bien plus performant qu’un homme ordinaire dans ce domaine précis. Sans cette capacité à brûler les graisses comme une machine, je me retrouverai rapidement à court d’énergie, “à plat”, sans mauvais jeu de mots. Tirer des pneus de longues heures durant permet aussi de se préparer à ça.

Cet entraînement nécessite d’être motivé et régulier, et renforce votre mental. Je dois admettre y avoir rapidement pris goût. En avançant, vous avez toujours l’impression que quelque chose vous retient, veut vous empêcher d’avancer. Il faut continuer malgré ça, sans regarder sa montre ou songer au temps qui passe. Il arrive de devoir donner de vigoureux coups de hanche parce que mes pneus indisciplinés ont la bonne idée de se prendre dans un trottoir, une racine… Peu importe, cela ne doit pas me ralentir outre mesure.

La météo ou la fatigue ne sont pas des raisons valables pour sécher un entraînement: peu importe qu’il pleuve, neige ou fasse trop chaud. En expédition, on a guère d’autre choix que d’avancer. Tout ce temps passé à tirer des pneus lentement, un pas après l’autre, vous donne aussi du temps pour penser et réfléchir, observer le paysage, ce qui est très agréable.

Où pratiquer ?

 

Mes pneus peuvent me suivre partout où je peux marcher, c’est aussi simple que ça. La surface sur laquelle on évolue influe sur la difficulté: l’herbe est un terrain difficile, quand passer sur des graviers me donne en comparaison le sentiment d’être en vacances.

Je choisis de préférence d’évoluer en forêt où les terrains sont variés, mais ce n’est pas toujours possible (Bonjour le confinement !). Dans la rue, il faut simplement faire attention au fait que les pneus sont plusieurs mètres derrière vous. Les regards intrigués sont monnaie courante, plus ou moins bienveillants. Un jour, un type en voiture a eu l’air de me prendre en vidéo sans me donner mon avis. C’est arrivé plus d’une fois. Une autre fois, ce sont les habitants d’un immeuble devant lequel je passais qui m’ont applaudi. C’est amusant les premières fois, mais j’y prête peu attention: ma tâche m’accapare complètement.

On me trouve sans doute un peu bizarre, mais c’est un bien maigre prix à payer pour réussir la traversée du Groenland.

Comment en fabriquer un ?

Il existe plusieurs manières de fabriquer son propre système, voici celui que j’ai utilisé et qui fait largement ses preuves jusqu’ici: vous avez besoin d’une perceuse, de pneus déjantés, de vis à œil de 8mm, d’écrous (à crans d’arrêt de préférence) de mousquetons, de corde, et d’un harnais.

Vous devriez pouvoir trouver des pneus usagés chez un garagiste, gratuitement. Si vous avez des pneus non déjantés, vous pouvez aussi les faire déjanter pour quelques euros.

  • Percez un trou de 8mm de chaque côté du pneu (haut, bas).
  • Enfoncez deux vis à œil sur l’extérieur de chaque trou.
  • Serrez fermement les vis à l’aide de vos écrous sur l’intérieur du pneu.
  • Faites ensuite quelques trous sur le côté des pneus, assez gros si possible: cela permet d’écouler l’eau lorsqu’elle s’y accumule par temps de pluie.

La suite devrait vous paraître limpide: il suffit de relier chaque pneu ainsi traité par un mousqueton, et de relier le premier à votre ensemble corde/harnais. Si vous n’avez pas de harnais, vous pouvez vous débrouiller avec une simple corde en la passant autour de votre taille, et en protégeant vos hanches de la corde. Pour ma part, j’ai d’abord utilisé une pauvre corde en chanvre, remplacé ensuite par le système de corde/harnais que j’emporterai au Groenland. Cette solution n’étant pas la moins onéreuse.

L’utilisation de bâtons de skis lors des séances est un plus non négligeable: cela permet de soulager votre dos, et vous rend la tâche globalement plus facile. Avec eux, on adopte une démarche plus proche de celle qu’on a en ayant chaussé des skis: ils permettent de garder un certain équilibre même en avançant droit.

J’emporte personnellement un sac à dos avec moi, que je remplis de bouteilles d’eau. Si la charge est trop lourde, je peux vider quelques bouteilles, et boire à l’envi si j’ai soif. Inutile toutefois de mettre plus de 15kg dans le sac: l’essentiel doit se trouver dans la pulka, pas sur mon dos. Je n’y mettrai que l’indispensable pour ma sécurité, et de quoi manger et boire sur le trajet.

C’est parti pour de longues heures d’entraînement. Il faut avoir la force physique et mentale d’y arriver, mais aussi y trouver du plaisir. Sans l’union des deux, je pense qu’un projet d’expédition est voué à l’échec.

Bon courage si vous vous lancez !