L’Expédition

Le 5 Septembre, je me suis lancé dans une nouvelle petite aventure: une expédition à vélo d’environ 1500km, qui devait me mener de l’Autriche à la Méditerranée, en traversant les Alpes. Du cœur des Alpes, j’ai rejoint le glacier du Rhône, puis je n’ai plus quitté le fleuve jusqu’à son embouchure, dans le delta de la Camargue.

Après m’être blessé l’an dernier durant ma préparation pour le Groenland, j’ai décidé d’acheter un vélo. Celui-ci devait me permettre de m’entraîner en ménageant mes articulations, que je mettais trop régulièrement en souffrance. De ma vie, je n’étais jamais monté sur un vélo de route.

Rapidement, m’est venue l’idée de transformer ce vélo pour en faire autre chose qu’un outil d’entraînement: il fallait le rendre tout terrain, et l’optimiser pour devenir capable de parcourir de longues distances. Ainsi, a germé dans mon esprit l’idée d’une expédition à vélo, qui en plus de m’en mettre plein la vue, me permettrait de progresser en tant qu’explorateur. Parce que le vélo est souvent le meilleur moyen d’accomplir de grandes distances sur Terre à la force de ses muscles. Qui sait où me mèneront mes futures expéditions !

Tombé amoureux de la Suisse lorsque j’y ai fait un stade de préparation à une expédition polaire en Janvier dernier, j’ai décidé de la traverser en entier. Et tant qu’à faire, autant partir d’Autriche, et donner une autre dimension à l’expédition en suivant le Rhône, moi qui l’an dernier avait descendu la Seine en kayak. Ce fleuve, c’est celui de mon enfance, puisque je suis né à Lyon !

A ce moment, n’ayant aucun passé de cycliste, je me demande encore comment je vais faire pour venir à bout de ces 1500km dans le temps imparti: une bonne dizaine de jours tout au plus. Surtout que mon parcours n’est pas tout à fait plat: je dois traverser les Alpes, et gravir 2 des plus grands cols Alpins: les mythiques Grimsel et Furka ! Le tout affublé de sacoches remplies à craquer. Mais après ce que j’ai vécu au Sarek, je crois que cela ne me posera pas de problème. Si les jambes lâchent, la tête saura prendre le relai !

J’ai donc avalé quantité de connaissances sur le bikepacking, et modifié en grande partie mon vélo, des pneus tout terrains à  la transmission, en passant par l’ajout de prolongateurs, de sacoches aero-dynamiques, ou d’un rétroviseur.

Côté couchage je maîtrise mieux mon sujet: j’ai choisi de faire très simple et ultra léger: un simple bivy de 500 grammes (sorte de sursac de couchage), un sac de couchage et un matelas gonflable.

Rendez-vous au lac de Constance, frontière entre l’Autriche, la Suisse et l’Allemagne. Il n’y a alors (presque) plus qu’à rouler !

Une chaîne, une moto, un camping, et un ami

Pour me rendre à mon point de départ, j’ai choisi le train: ce fut l’occasion d’admirer les Vosges ou encore le Jura, que je retournerai voir de plus près. Le lac de Constance est un endroit magnifique. Très vaste, il est bordé par trois pays germanophones: l’Autriche, l’Allemagne, et la Suisse Alémanique. J’ai passé la nuit sur ses rives, en prenant soin de faire attention aux moustiques, bercé par le son de ses vaguelettes.

Le lendemain matin, j’ai enfourché mon vélo et mon périple a démarré. Ça y est, enfin, j’y suis ! Très vite, alors que les premiers kilomètres défilent, entre chemins et pistes cyclables, je comprends que je vais me régaler les yeux. Les premiers Alpages, de taille modeste, font leur apparition et parfois, le Rhin m’accompagne. En ce début de mois de Septembre, le thermomètre se fâche encore parfois: la température tutoie alors les 30°C et je dois faire des pauses régulières, toutes les deux heures, pour redescendre un peu en température.

Je longe le Liechtenstein, et prend le temps de bavarder avec deux de ses habitants, pas peu fiers d’y élire domicile. L’excitation me gagne alors que j’aperçois des montagnes au loin, qui n’ont de cesse de grandir. Je me dirige droit vers les hautes Alpes ! Mais un peu de patience tout de même: il me reste plusieurs centaines de kilomètres à parcourir avant d’y arriver.

Les côtes succèdent aux parcours plats et après avoir longé le Rhin, voilà que je longe de magnifiques lacs dans un décor sublime. Alors que le soleil décline, j’en suis à un peu plus de 120km au compteur. Je sens qu’il me reste encore de bonnes jambes, et je veux pousser le curseur à 150 avant de m’arrêter pour bivouaquer. C’est là que les choses ne se passent pas comme prévu. En quittant une côte, je repasse d’un seul coup sur le grand plateau et croise ma chaîne. Boum. D’un coup, mes pédales se bloquent complètement, et si je tente de faire un tour de plus, ma transmission explosera littéralement.

Quelle plaie ! Heureusement, cela ne m’est pas arrivé au milieu de nulle part, mais au milieu d’un petit village appelé Murg. Tant pis ! Je sors la lampe frontale, mon multi-outil, et je m’attelle à débloquer la chaîne. Au bout d’une petite heure et après force démontages, je finis par y parvenir… Mais ma chaîne est dans un sale état, et je constate même que certains galets sont maintenant quelque peu édentés. Alors rien n’y fait: mon vélo roule de nouveau, mais les changements de vitesse sont une catastrophe: inutilisable.

Le vrombissement d’un moteur de moto se fait entendre derrière moi. Un homme s’arrête à côté de moi et propose de m’aider: après avoir essayé à son tour, il ne parvient pas non plus à régler le problème. Nous en rions. Après un détour par le camping voisin où nous aurons un différent prononcé avec l’imbécile tenant lieu de directeur, Micky insiste pour m’inviter à passer la nuit chez lui. Hospitalité Suisse. Je le suis, lui sur sa moto, et moi qui court derrière en poussant mon vélo. Je passe alors la nuit dans le plus beau loft que j’ai pu voir, et nous refaisons le monde quelques heures avant d’aller dormir.

Le lendemain, je prends le téléphérique pour aller faire changer ma chaîne. C’est fait admirablement bien. Je redescends alors la montagne et me retrouve avec mon vélo fonctionnel, à l’endroit où j’étais quelques kilomètres avant de défoncer ma transmission. Parfait ! Après avoir englouti un repas, je fonce jusque Raperswil, d’où je peux admirer le Lac de Zurich. L’ambiance y est à la fête, et j’apprécie le paysage malgré le fait que je souffre un peu de pédaler continuellement sous le cagnard. En repartant, je sais que m’attends une première grosse ascension qui m’emmènera autour de 1000m d’altitude, au mont Etzel. Un nain, comparé au Grimsel ou à la Furka, mais c’est déjà quatre ou cinq fois plus que la plus grosse ascension que j’ai faite jusque là. Je monte alors, encore et encore… Et voit s’étendre devant moi le grand lac au fur et à mesure que je m’élève. Que c’est beau !

Premiers reliefs Alpins

Mes jambes accusent légèrement le coup: une douleur au genou vieille de deux semaines s’est réveillée et je suis obligé de compenser avec l’autre jambe, ce qui me conduira à la blesser elle aussi à terme si je poursuis ainsi. L’enthousiasme lié à cette première ascension et au simple bonheur de me trouver là, à faire quelque chose que j’aime, me fait vite oublier mon genou. 100m, encore 100m, encore 100m, encore 100m… Et finalement, j’arrive au bout ! Au sommet, je croise des cavalières montant des chevaux magnifiques, alors que le soleil se couche. Je viens de gravir le col de l’Etzel. Dire que le col du Grimsel, c’est au moins le triple de cette ascension… Mais si j’ai pu le faire une fois, alors je suis persuadé que je peux le refaire 3 fois dans la même journée ! Je redescends d’une traite. Ma journée n’a commencé qu’à 13h, et je n’aurais fait que 80km aujourd’hui. Mais j’ai réparé mon vélo et gravi mon premier col.

Le lendemain, après avoir une nuit passée dans un pré au milieu des montagnes, je repars avec l’objectif de terminer au pied du Grimsel. Cela signifie gagner les hautes Alpes qui se trouvent à environ 150km ! Le sourire aux lèvres, j’enfourche mon vélo et file, parfois chantonnant alors que je croise des randonneurs ou des cyclistes amusés. 

Je quitte les environs du Lac de Sihl, longe le lac d’Aegeri pour rejoindre le lac de Zoug où je fais une courte pause. Je longe ensuite la rivière Reuss qui finit par se jeter à Lucerne dans un autre lac du même nom. Enfin, je longe le lac de Sarnen, puis le Lungernersee (encore un lac) avant d’arriver à Meiringen, au pied du Grimsel ! Le tout en serpentant entre des montagnes de plus en plus grandes, toutes plus magnifiques les unes que les autres. Un spectacle permanent. Je termine d’ailleurs par une nouvelle ascension à plus de 1000m d’altitude, nocturne celle-là puisque je n’en viendrais à bout que bien après que le soleil se soit couché. C’est le col du Brünig ! Mon itinéraire me fera même descendre un chemin de trek bordé de ravins, consistant en une pente à 35%… Si bien qu’en arrivant à Meiringen, je suis absolument affamé, les barres que j’ai consommées tout au long de la journée n’ont bien sûr pas suffi à me rassasier.

Le pauvre kebab encore ouvert n’a plus qu’à m’ouvrir ses portes, et je dévore ce qu’il a à m’offrir avec une voracité incroyable, tentant de me faire comprendre du patron dans un allemand approximatif. Avant de m’enfouir dans mon bivy et de passer une nouvelle belle nuit au cœur des Alpes, je m’attarde sur le ciel comptant des étoiles innombrables. S’il n’y a pas ici d’aurore boréale, j’aperçois pour la première fois de ma vie la voie lactée à l’œil nu. Quelle pitié que l’on en soit privé par la pollution lumineuse ailleurs !

Ne rien lâcher

En me réveillant le lendemain, je sais que cette journée sera probablement la plus dure de mon expédition. Je dois passer le col du Grimsel, et ensuite rejoindre le col de la Furka, à… 2500m d’altitude. De là-bas, je pourrais rejoindre le glacier du Rhône. Le col du Grimsel, c’est une ascension ininterrompue de 25km. Un défi pour cycliste de haut niveau bien armé, que je ne suis pas avec mon vélo Decathlon, mes sacoches et mon inexpérience. Je me lance néanmoins plein d’entrain et de confiance. A mesure que les heures passent, mon corps fatigue mais mes yeux s’émerveillent: les paysages sont à couper le souffle. J’aperçois des rivières, parfois des cascades. Je franchis des tunnels, longe des corniches. Et chaque mètre finit par devenir une épreuve !

Lorsque je tente de filmer cette ascension, je pose ma GoPro, redescends, puis remonte en espérant que tout se passe bien. Parfois, ce n’est pas le cas, et je constate que la GoPro n’a rien filmé du tout, alors que je me suis torturé les jambes pour refaire cette partie. Quelle plaie ! Mais mieux vaut en rire qu’en pleurer. Au cours de cette journée, je compte 3 lacs Alpins dans ces montagnes. Le plus haut se trouvant à 1800m d’altitude… ! Lorsque j’arrive au bout de l’effort, je constate qu’une fois de plus ma tête a tenu mes jambes, et je suis fier de moi. Récompensé par un magnifique spectacle, je fête dignement cette belle victoire et soulève mon vélo triomphalement au dessus de ma tête. Mais entre ce matin à Meiringen d’où je suis parti, et maintenant au sommet du col, j’ai perdu 17°C ! Et le vent fouette. Mon corps n’a plus du tout d’énergie. Pour ne pas geler, je m’empresse de me couvrir avant la descente: je ne peux pas dormir ici où la température tutoie le zéro la nuit, je ne suis pas équipé pour.

La descente est superbe. Je fonce à une moyenne de 50km/h, suivant la route en lacets tout en admirant le glacier du Rhône que j’aperçois, à deux kilomètres de moi. Je termine ma course à Obergoms, où je décide de m’arrêter pour m’offrir un dîner digne de ce nom. Surexcité par ma journée, je me sens en pleine forme et j’apprécie ce repas à sa juste valeur. Et pour fêter cette journée, je passerai la nuit à Obergoms, dans un chalet plutôt que dans mon bivy ! Il fait de toute façon un peu trop froid pour mon équipement à cette altitude.

Le lendemain, je me réveille en piteux état: j’ai rendu mon dîner dans la nuit et suis très fiévreux. Alors que je cherche à joindre un médecin, on m’apprends que vu mon état et la situation sanitaire, on ne peut pas prendre de risque. On m’envoie donc de force à l’hôpital le plus proche, situé à 1h30 d’ici, en ambulance. J’y passerai la journée. Perfusions, examens du foie… Je suis en sale état, et ne ressortirai qu’au début de la nuit, l’estomac vide et tenant à peine sur mes jambes. Pas de covid: je suis atteint d’un virus et certaines de mes constantes ne sont pas bonnes. J’ai aussi beaucoup d’air dans les intestins, et suis particulièrement déshydraté. L’effort de la veille a affaibli mon système immunitaire: le froid soudain, la sécheresse lors de la descente et la déshydratation ont achevé d’aligner les planètes pour que je fasse une infection. On m’a demandé de mettre un terme à mon expédition, continuer ne serait pas raisonnable.

Mais moi, j’ai vraiment très envie de terminer cette expédition que j’apprécie vraiment, vraiment beaucoup.

Partie II: Jusqu’au bout